L'utopie à travers les âges.

commentaires · 342 Vues

L'utopie est un terme créé par l'écrivain anglais Thomas MORE, à partir du grec ou (privatif) et topos (le lieu) : « pays de nulle part ». L'Utopie de MORE (1516) décrit « la meilleure constitution d'une République ». C'est un projet d'établissement

Introduction :


Aussi, une utopie est une réalité inadmissible et irrationnelle. Il y a donc une polysémie modifiant la définition du mot : entre un écrit littéraire politique et un rêve très difficilement réalisable. C’est méditer sur le réel par une représentation de la fiction ou une dissociation entre rêve et acte, idéal et réel. Son genre opposé est la dystopie ou contre-utopie et présente non pas « le meilleur des mondes » mais « une utopie en sens contraire », selon F. ROUVILLOIS, essayiste et romancier contemporain. Les utopies n’ont pas toutes le même sens et peuvent être diversement interprétées comme nous allons l’étudier.

1) Le fondateur du genre utopique :

L'Utopie de MORE : comme son ami ERASME, il est humaniste redécouvrant la littérature antique grecque/latine et s'en inspire. Son texte s’inspire des récits de voyage de Vasco DE GAMA ou MAGELLAN. En 1492, les Européens ont découvert le Nouveau monde, avec d'autres peuples, ce qui a permis d'imaginer une civilisation proche du monde connu. Le 1er livre d'Utopie est une conversation entre l’écrivain et Hythlodée, un navigateur qui a découvert l'île d'Utopie. La discussion porte sur les injustices et défauts de la société et Hythlodée oppose les sages coutumes du pays dont il a fait la découverte. La 2ème partie du livre est la description de l’Utopie par Hythlodée. Elle porte sur les lois, coutumes, l'histoire, architecture et le fonctionnement économique de l'île. C’est une île comme l’Angleterre mais imaginaire et inversée. La société utopienne est égalitaire et ignore toute propriété privée, argent, guerre ; leurs institutions sont sages et pacifiques. C’est une société communiste et isonome ayant pour but l'égalité de chacun avec la loi. Elle repose sur un ensemble de lois et une organisation très rationnelle et précise. Elle est présentée comme la plus aboutie des civilisations. La vie de la cité est une démarche politique. MORE décrit les villes et l’organisation du travail. L’auteur insiste sur les bienfaits. La 1ère partie de l’ouvrage est une critique de la société anglaise et européenne du 16ème siècle. Il règnent le paraître et la vanité, le goût du pouvoir, la corruption, misère et guerre ; le système des « enclosures » (où les terres étaient utilisées pour l’élevage intensif du mouton, et n’étaient donc plus cultivées) réduit la paysannerie à l’état de prolétariat misérable. Les vertus de l'Utopie sont des réponses aux injustices du monde réel : elles les soulignent par contraste (l'égalité de tous les citoyens utopiens montre la misère des paysans anglais n’ayant plus de terres) et illustrent que les problèmes d'Angleterre ne sont pas définitifs puisque les Utopiens arrivent à les résoudre. L'Utopie comme œuvre de fiction démontre que l'Homme peut modifier son destin, est porteuse d'histoire. MORE souhaite mais n’espère pas la réalisation d'une société pareille. Une dimension critique ou régulatrice se reconnaît dans « l’utopie théorique », dont il n’attend aucune réalisation effective.

Le genre littéraire créé par MORE repose sur un paradoxe. C’est une œuvre fictionnelle qui n’a pas de lien avec la réalité : l'île (« nulle part »), le fleuve qui traverse l’île (Anhydre = pas d’eau) ou Hythlodée (= qui raconte des histoires). L'utopiste refuse le merveilleux, bonheur, la fantaisie devant exister en Utopie, qui existerait par la cohérence du projet. Nul climat paradisiaque, bénédiction divine, pouvoir magique n'ont contribués à la réalisation de la société parfaite. Il s'agit donc d'une fiction dont la valeur repose sur la cohérence du discours.


L’utopie n’est pas un réel facteur de changement social. Elle est « réactionnaire » si elle refuse l’histoire, se réfugie dans un passé mythique. De ce fait, l’utopie est souvent située dans une île et conçue comme une micro-société retirée, non exposée aux vicissitudes du temps.
Selon KANT, l’utopie constitue un idéal régulateur, une condition limite du progrès politique et moral.

2) L’histoire de l'utopie :

L’Histoire vraie de Lucien DE SAMOSATE est comme la Batrachomyomachie rattachée au genre de la fantaisie imaginaire. Dans son voyage dans un univers imaginé, elle montre des particularités littéraires et thématiques de l'utopie (2ème siècle) : la lecture d'un archétype parfait d'organisation et une critique des structures institutionnelles, politiques, sociales du modèle culturel de régime dans lequel évolue l'auteur. Avec une mise en abyme discursive (narration enchâssée dans une autre trame fictionnelle dont les ressorts seraient historiques, politiques, philosophiques) introduisant un dialogue complexe entre les textes imbriqués l'un dans l'autre. Comme le voyage de Lucien au royaume d'Endymion, dans l'Île des Bienheureux ou sur la lune, où il y a Rhadamante qui l'accueille durant des mois.


On ne peut dissocier l’utopie d’un long voyage et d’une quête : le voyage de Saint-Brandan (14ème siècle) et des 14 moines dure 7 ans, ils traversent l’enfer.


La cité idéale est un lieu isolé du monde extérieur pour sa protection et la libre construction de son système : Cité des dames de Christine DE PISAN (1405) ou BOCCACE.


Dès le 17ème siècle, des auteurs développent l'aspect romanesque et satirique au détriment du projet politique. Les voyages de Gulliver de J. SWIFT fut qualifié d'utopie.

L’utopie se développe à la Renaissance avec La Cité du Soleil ou idée d’une république philosophique de Tommaso CAMPANELLA, il y décrit avec précision l’architecture de la cité et les 7 cercles qui la constituent. Un paragraphe est consacré à un temple dont la construction s’inspire du cosmos. Et, aussi avec La Nouvelle Atlantide de Francis BACON. A part le lieu, l’utopie est une recherche idéologique, politique d’un modèle social ne tenant pas compte de la réalité : l’ouvrage de MORE a pour sous-titre Traité sur la meilleure forme de république et sur une île nouvelle. Il s’inspire d’ARISTOTE, PLATON et ST AUGUSTIN. PLATON développa une 1ère forme de la pensée utopiste dans La République. Par république, il entend état, constitution. Il traça les lignes d’une cité idéale organisée par castes. La communauté est l’assise de la cohésion de la cité. Son sens politique lié à un gouvernement imaginaire apparaît au 18ème siècle. L'utopie devient un projet irréalisable, parfois irréaliste. Les mots : illusion, rêve, mirage, chimère, rêverie, sont associés au concept. MORE élargit le champ du possible et non de l'impossible.


Au cœur de la réflexion, il y a la question du bonheur à chercher ou inventer avec l’idée du progrès associée à une justice sociale et vertu morale. Dans Candide de VOLTAIRE, avec l’eldorado apparaît l’utopie : pays où l’argent n’a pas de valeur, les habitants vivent heureux, respectent et acceptent les lois. Le héros pense avoir découvert « le meilleur des mondes possible » mais il quitte le pays doré car cette utopie n’est pas sienne : la cité n’est idéale que pour ceux qui y sont nés et l’ont choisie. Candide part pour échapper à l’idéal d’autrui car un bonheur imposé peut être en réalité un malheur. Au milieu de son voyage, c’est par le jardin qu’il établira sa vision de l’existence appuyée sur le travail. L’utopie de VOLTAIRE, MORE ou RABELAIS n’est pas portée par une providence divine qui apporte l’abondance : elle se distingue de l’Âge d’or ou bien du paradis terrestre. Elle prône une démarche humaniste appuyée sur des moyens humains. Elle rejoint la notion de perfectibilité humaine qui se développe au siècle des Lumières : « l’autre monde est dans le monde », c’est tout le sens du voyage de Candide vers le jardin final.


Les utopistes situent la narration dans un endroit imaginaire afin d’échapper à la censure politique et religieuse : un pays lointain, mythique (Les Aventures de Télémaque de FENELON), île inconnue (L'Île aux esclaves de MARIVAUX).


Dans la narration, cela passe par un régime politique idéal gouvernant les hommes, une société parfaite, juste, comme la Callipolis de PLATON ou une communauté d'individus vivant heureux et en harmonie (l'abbaye de Thélème dans Gargantua de RABELAIS). Ceci pour dénoncer les injustices et dérives de leurs temps.


L’utopie est l’occasion de questionner la structure sociale et mondiale pour redéfinir la place de l’homme en relation directe avec les débats qui animent la Révolution de 1789. Dans Supplément au voyage de Bougainville, DIDEROT imagine le dialogue entre un Européen et un Tahitien qui conteste le droit de celui qui envahit, défend son organisation sociale où règne l’absence de propriété. Les arguments répondent aux questions de la colonisation et l’esclavage. Dans Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (10ème époque, « Des progrès futurs de l’esprit humain »), CONDORCET y parle des espoirs portés par la Révolution.


La volonté de constituer une cité idéale fut reprise par les utopistes du 19ème siècle avec ce que MARX appelait le « socialisme utopique » qui projetait une société égalitaire, harmonieuse et fraternelle : ST SIMON, CABET ; et le phalanstère de FOURIER imagine un « palais social » pour abriter l’homme et non « quelques hommes ». C’est une « utopie pratique » car un projet historiquement réalisable. Les architectures en traduisent les projets : Étienne-Louis BOULLEE, architecte visionnaire du 18ème siècle, réalise un « projet d’un palais pour un souverain à St Germain en Laye ». Dans la Crècherie de ZOLA, dans Travail, 2ème des Quatre Evangiles après Fécondité, l’homme a créé son modèle organisant l’existence des ouvriers.


Parfois, l’utopie tourne mal au 20ème siècle : l’idéologie systématisée conduit au cauchemar d’un bonheur imposé qui signe la négation de l’homme dans son être et ses rêves. Dans Nous autres, Eugène ZAMIATINE évoque l’horreur du bienfaiteur. Dans W ou le souvenir d'enfance, Georges PEREC dépeint le règne de l’arbitraire dans un pays imaginaire : que devient l’homme dans ces conditions ? L’utopie n’est pas forcément positive et peut devenir dangereuse. Des penseurs comme MACHIAVEL, MARX, JONAS, ont reproché à l’utopie d’être inutile et politiquement nuisible : en étant en-dehors du réel, l’utopie rend impossible toute vraie transformation.

Conclusion :

MORE développa une des fonctions essentielles de la pensée utopiste qui est de concevoir un idéal politique à partir duquel il juge et critique la politique réelle. Michel FOUCAULT, philosophe du 20ème siècle, définit l'utopie comme un « emplacement sans lieu réel » entretenant un rapport analogique avec la réalité et tendant soit vers l'envers de la société ou le perfectionnement de celle-ci. Elle s'oppose à l'hétérotopie.
Théodore MONOD, érudit et humaniste, écrit : « L'utopie n'est pas l'irréalisable, mais l'irréalisé. »

Références et sources :
Wikipédia.

commentaires